Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/104

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avait aperçu à l’horizon de sa seconde jeunesse cette Terre Promise, cette félicité inattendue : — l’amour avec un être sans passé et dans lequel il crût absolument, lui qui avait tant souffert du doute et de la défiance, — la passion dans la loyauté, lui qui avait tant remâché l’herbe empoisonnée de la trahison, — la joie du cœur dans une vie réglée, et doucement, divinement monotone, lui qui avait tant erré loin de tout foyer, — l’orgueil d’une famille, lui qui avait si souvent pleuré à l’idée du chemin qu’eût pris sa vie avec une certitude sur l’enfant de sa haïssable maîtresse… Ah ! Qu’elle méritait bien d’être haïe, celle qui lui avait si longtemps dépravé le cœur ! En repassant ainsi les phases diverses de ce long martyre, il s’abandonnait, sans le savoir, à ce mirage particulier d’imagination qui veut qu’après avoir été très malheureux à l’occasion d’une femme, nous ne sachions plus discerner dans ce malheur notre part de responsabilité. Il ne faisait plus à Pauline Raffraye le crédit de penser qu’après tout il n’avait pas tenu l’indiscutable démonstration de son infamie. De plus fortes apparences ont fait condamner tant d’innocents. Il ne se faisait pas à lui-même le reproche de ne jamais avoir contrôlé la cruauté féroce de son jugement sur elle par une enquête sur la manière dont elle vivait dans la solitude de sa campagne. Il ne savait même pas si elle