Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/126

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nous attendons pas à ces humbles, à ces quotidiennes aventures : le racontar d’une vieille femme de chambre familière qui a bavardé avec une compatriote à la table de l’office et qui bavarde une seconde fois en babillant sa maîtresse pour le dîner. Ce saisissement de la première minute aurait vite passé, et la phrase naturelle : « Mme Raffraye ?… Mais j’ai connu une amie de ma sœur qui portait ce nom… » lui serait venue aux lèvres si d’entendre l’éloge de sa perfide maîtresse par ces deux femmes qu’il respectait si profondément, ne lui eût causé une espèce d’indignation peu généreuse, mais violente, irrésistible et trop naturelle ! Qui a pu avoir été trahi comme il croyait l’avoir été et ne pas étouffer de colère intérieure contre l’hypocrisie de celle qui, ayant trouvé le moyen de nous faire si mal, a trouvé aussi celui de se garder un tel masque d’honneur et de délicatesse ? Il comprit du coup que la répugnance qu’il avait éprouvée à parler de Pauline devant sa fiancée n’était rien à côté de l’horreur que lui inspirerait l’entrée de cette abominable comédienne dans ce salon, auprès de ces deux naïves et saintes créatures. Il ne douta pas, il ne voulut pas douter une seconde que le langage des deux femmes de chambre ne fût une leçon apprise, lui qui savait combien était mensonger le récit de ces soi-disant douleurs de veuve. Et cependant il avait suffi pour qu’Henriette, dans