Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/133

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dirait de nouveau le juge, « vous auriez donc laissé cette petite fille, votre petite fille peut-être, abandonnée à n’importe quel hasard ?… » Il lui répondrait : « Mais elle n’est pas ma fille… » Et la noble femme lui répondrait peut-être cet atroce : « Qui sait pourtant ?… » qu’il se disait quelquefois à lui-même et qui lui faisait tant souhaiter de ne jamais rencontrer cette insoluble et vivante énigme ! « Avez-vous cherché au moins, » continuerait Mme Scilly, « à vous rendre compte de la manière dont Mme Raffraye usait de sa liberté ? Un caractère se tient cependant, et ce que nous avons appris d’elle aujourd’hui n’est pas d’une malhonnête femme… » Protesterait-il ? Entreprendrait-il de démontrer à cette sainte l’hypocrisie atroce qu’il entrevoyait dans ce récit mensonger d’une vieille femme de chambre bien stylée ? De cette hypocrisie non plus il n’avait pas de preuves… « Cet entretien serait trop pénible, » conclut-il au terme de cette soirée où les gémissements et les langueurs de la musique jouée par Henriette s’étaient traduits pour lui dans cet étrange dialogue. Il en avait presque entendu certaines phrases, tant l’hallucination intérieure avait été intense, « Trop pénible, » se répéta-t-il tout haut, quand il fut seul. Sa chambre où il s’était retiré lui rappela le billet écrit vingt-quatre heures auparavant… « Je serais un fou de provoquer une pareille scène, » pensa-t-il, « quand