Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/146

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Quel contraste entre ces deux matinées ! Quelle allégresse alors, quand il ne soupçonnait pas l’approche de la femme qui, après avoir été le mauvais génie de sa première jeunesse, recommençait tout à coup d’empoisonner la félicité de la seconde ! Le même adorable paysage se développait bien autour de lui. Les mêmes lames bleues à peine brodées d’un peu d’écume déferlaient au ras du quai, roulant dans leur balancement les blanches voiles et les blanches mouettes. La même rangée de palais étageait de seigneuriales terrasses. La même forêt de mâts emplissait les deux ports. C’était, là-bas, la même noble forme de la montagne, dont l’éperon rouge protégeait la baie et les mêmes palmiers verdoyants sur les mêmes places lumineuses. Dans les rues étroites les mêmes dalles tièdes et claires résonnaient sous le trot des petits chevaux et des petits ânes attelés aux mêmes charrettes peintes en rouge et conduits par les mêmes paysans aux faces d’Arabes, avec des yeux de velours noir dans un teint olivâtre. Comme Francis avait changé, lui, en si peu de temps ! Il avait eu là, devant l’évidence du travail de désorganisation accompli en quelques jours, presque en quelques heures, dans sa destinée présente par la tromperie et par l’idée fixe, un véritable sursaut de révolte contre lui-même. Mais quoi ! Il était trop tard pour se confesser à Mme Scilly. Il serait mort de honte de devoir