Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/148

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de sa chair. Elle sait. Elle les embrasse, elle les étreint avec cette certitude, besoin si passionné de notre cœur que la religion l’a mise comme une base éternelle à la félicité des élus. Lors du dernier jugement toutes les consciences ne seront-elles pas transparentes les unes aux autres ? Francis s’était souvenu aussi qu’au cours de leurs entretiens sur les choses pieuses, Henriette lui avait exprimé plusieurs fois son candide enthousiasme pour ce dogme. Elle avait été si bien partagée dans ses affections, disait-elle, qu’elle pensait à la mort avec une sérénité entière, — et elle ajoutait, avec un regard de pitié, que ce devait être au contraire une telle épreuve pour ceux qui n’étaient pas, comme elle, bien sûrs des cœurs qu’ils aimaient… D’habitude le jeune homme s’enchantait la mémoire à se répéter des phrases pareilles où il trouvait un motif de plus d’adorer sa fiancée. Le souvenir de celles-ci avait, par ce matin d’anxiété et dans ce radieux paysage, achevé de lui percer le cœur, et c’est sur ce cœur saignant, comme écorché à vif, que tombèrent, lors de sa rentrée dans le salon de l’hôtel, les phrases de sa fiancée les plus faites pour achever sur un sursaut d’angoisse les amères méditations de cette matinée :

— « Vous nous trouvez un peu remuées, » dit Mme Scilly après les premiers mots, « Henriette surtout… Nous venons d’assister à une toute petite scène, mais si mélancolique… »