Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/155

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

fatigue, s’inquiétait d’une manière presque folle ! De la sentir trop fragile, trop atteignable dans sa vie physique lui était une émotion si forte, comme à tous ceux qui aiment un de ces êtres si délicats qu’ils semblent devoir se briser au premier souffle trop âpre. Mais cette lassitude d’Henriette le rendait libre de nouveau, et il avait besoin de cet isolement pour regarder en face cette nouvelle et inattendue donnée du singulier problème que le hasard semblait se complaire à poser devant lui. Il eut, retiré dans sa chambre, un accès d’anxiété aussi violent que durant la première après-midi où le nuage sombre qui s’épaississait sur sa tête était apparu dans son ciel bleu. Ce jour-là, il avait trouvé de l’énergie à contempler le portrait de sa fiancée. C’était sur un autre portrait, celui de sa sœur, que ses yeux et son esprit se fixaient maintenant, mais pour y boire, au lieu de la force morale, plus de trouble et plus de découragement. Cette photographie, à laquelle Henriette avait fait une si directe et si foudroyante allusion, datait de bien loin. Mme Archambault, si elle avait vécu, aurait eu quarante ans, et, sur le portrait, elle en avait dix à peine. La couleur de l’incertaine image avait pâli. Les traits du visage et les lignes des mains s’étaient fondus, jaunissaient. Les cassures des étoffes se marquaient en nuances aussi anciennes que la coupe de la robe qui remontait