Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/175

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qu’elles sont fortes parfois et que nous nous sentons voisins du naufrage !

« Mais c’est mon enfant, c’est ma fille… » Cette phrase qui s’était prononcée toute seule dans son cœur devant la terrassante, l’invincible évidence de l’hérédité, Francis se la répéta soudain à voix haute et à plusieurs reprises. Il s’écoutait la prononcer, et une corde tressaillait dans les profondeurs de sa personne, qui n’avait jamais été touchée avec cette force : « Ma fille !… » C’étaient deux mots bien clairs cependant et bien simples. Il se les était dits et redits bien souvent, depuis des années, chaque fois qu’il pensait à la possibilité, malgré tout, que le sang de cette enfant inconnue fût son sang à lui. Mais cette possibilité était demeurée pour son esprit une idée inefficace, une irréelle et vague abstraction qu’il ne réalisait pas plus en une image concrète et positive que nous ne réalisons la mort de quelque cher malade. Tant que nous n’avons pas vu, inanimée et raide sur son lit d’agonie, cette forme autour de laquelle palpitait notre espérance, cette mort ne nous est pas vraie. Nous savions trop que ce malade pouvait, qu’il devait mourir ; puis notre déconcertement confine à la stupeur devant une fin qui nous surprend comme si nous ne l’eussions jamais pressentie. C’est qu’il s’accomplit dans le passage de la pensée à la réalité présente, immédiate,