Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/176

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indiscutable, dans la métamorphose d’une hypothèse en fait positif, d’un doute flottant en évidence, comme un déplacement total du plan intérieur de notre âme. Nous ressemblons, à ces moments-là, et pour un temps qui varie suivant le degré d’importance de la révélation, aux aveugles opérés de la cataracte. Dans le désarroi de leur éveil à la lumière, n’ayant pas adapté leurs mouvements aux impressions qui les entourent, ils hésitent, ils trébuchent, ils tombent à terre. Francis Nayrac était ainsi. D’avoir contemplé de ses yeux Adèle Raffraye au lieu de la rêver, d’avoir constaté ce qu’il avait constaté au lieu de le supposer, avait subitement déconcerté toutes ses anciennes manières de sentir vis-à-vis de cette enfant. Si huit jours auparavant, si la veille même on fût venu lui raconter un tragique accident survenu à cette petite, qu’elle avait été, par exemple, brûlée dans un incendie, broyée dans le déraillement d’un train, noyée dans la perte d’un bateau, il aurait sans nul doute frissonné d’un frisson très particulier. Mais quoi ? C’eût été un fait divers un peu plus troublant que beaucoup d’autres, voilà tout, — au lieu qu’à présent, et tandis qu’il allait cheminant dans la campagne, entre les oliviers et les aloès, de se rappeler seulement la pâleur d’Adèle, sa délicatesse de traits, la fragilité de ses membres, lui causait une souffrance presque insupportable. Si le