Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/182

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ne se rassasierait pas de promener ses regards sur les lignes de ce visage qu’il s’était interdit de seulement rencontrer pendant des années. S’il avait su quels traits il y retrouverait, aurait-il eu la force de cette abstention ? Il le savait à présent et il redisait tout haut : « Mon enfant !… Ma fille !… » Mais à qui ? Au vent, qui passait et qui n’emportait même pas son soupir ; aux feuillages, qui ne l’entendaient point ; aux étoiles insensibles ; à la nature muette et sourde ; à tout, — excepté à celle qui dormait là-bas. Non. Le soin de veiller sur ce sommeil, le droit de murmurer de tendres mots à cette oreille si délicate parmi ces cheveux si blonds, le privilège d’écarter de ce lit d’enfant les coups de la destinée, tout cela appartenait à une autre personne qui peut-être, à cette minute même, se penchait sur Adèle dans son périt lit, pour la contempler, pour la caresser, pour l’aimer. Et Francis aperçut dans sa pensée le pâle visage de Pauline. Il la revit telle qu’elle lui était apparue, elle aussi, le matin, consumée et mourante. Il revit l’amaigrissement de ces joues dont il avait autrefois idolâtré la ligne, le dépérissement de ce svelte corps auquel il s’était enlacé dans de si brûlantes étreintes, la flétrissure commençante de cette beauté dont il avait été si follement, si âcrement jaloux. Cette évocation suffit pour que sa pieuse, sa tendre pitié cédât de nouveau la place à un sursaut d’amère rancune. S’il ne s’était pas