Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/192

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émotion, et, franchissant une première haie, au risque d’être pris par les gardiens pour un malfaiteur, il voulut aller jusqu’à la grille, fermée maintenant. Il posa son front contre le fer des barreaux et il regarda longtemps les massifs obscurs des grands arbres qui projetaient leurs noires ombres immobiles sur le sable clair des allées, blanchi par la lune. Cette froide lune blanchissait aussi le marbre incertain des statues, qui prenaient, parmi les cèdres et les cyprès, comme un aspect fantastique de tombeaux. Ce jardin taciturne n’était-il pas en effet un cimetière pour lui, le Campo Santo, comme disent noblement les Italiens, où gisait ensevelie sa dernière minute d’entier bonheur ?… Il eut là un instant d’infinie détresse, l’impression aiguë du coup meurtrier que son amour venait de subir, la vision que leur commun pressentiment, à Henriette et à lui, avait eu trop raison. Jamais, avec la certitude qu’il était le père d’Adèle et qu’il ne pouvait rien pour elle, il ne serait heureux auprès de sa fiancée, plus tard de sa femme, comme il l’eût été s’il eût acquis la preuve du contraire, s’il eût pu croire que l’enfant était de son ancien rival. Il allait porter en lui une plaie qui saignerait longtemps, longtemps. Mais l’avait-il mérité, ce bonheur dont il avait savouré les premières délices pendant ces quelques mois, les plus doux qu’il eût connus sur la terre ? Depuis qu’il vivait