Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/201

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pour triompher de cette torture, et il n’arrivait qu’à sentir davantage la coexistence en lui d’émotions cruellement contraires. Et ces émotions le poursuivaient, une fois de retour à la maison, durant les longues heures de la paisible soirée. Soit qu’il s’assit, comme autrefois, sur une chaise basse aux pieds de sa fiancée, pour lire à voix haute, soit qu’elle se mit, elle, au piano, pour lui jouer un fragment d’un musicien préféré, soit qu’ils causassent tous trois lentement, tranquillement, intimement, toujours à une minute l’idée fixe reparaissait… Que faisait Adèle à ce même instant ? Et il la voyait, comme il l’avait vue le matin, accourant auprès de Mme Raffraye, avant d’aller dormir, et regardant la malade avec de grands yeux d’ignorante où se lisait néanmoins la divination d’une mystérieuse menace. Pour que la petite fille pensât, même dans ses jeux, à la toux douloureuse de sa mère, il fallait que chacun des accès de cette toux lui résonnât trop avant dans le cœur. Pressentait-elle qu’à un jour prochain ce seul appui qu’elle eût au monde lui manquerait ? Et son père le savait, lui. Son père vivait. Son père possédait les viriles énergies protectrices dont l’enfant aurait peut-être besoin bientôt, et ce père ne pouvait rien pour elle. Il devait multiplier les obstacles entre eux, pour continuer de s’estimer. L’honneur voulait qu’il se conduisit vis-à-vis de sa fille comme s’il ne soupçonnait