Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/242

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dans l’injustice presque barbare qui s’y respirait à chaque ligne. S’il en eût relu quelques-unes seulement, comme Pauline venait de le faire, il eût compris par quels degrés cette femme, martyre de sa folle jalousie, en était arrivée à ce point de rébellion intérieure où l’on ne se défend plus. On n’en a plus ni la force ni même le désir. Il y a dans le soupçon, porté jusqu’à un certain point et prolongé pendant une certaine période, une sorte de puissance meurtrière et paralysante pour l’être qui en est l’objet. Ce n’était pas une fois, c’était vingt que Nayrac avait dit devant sa maîtresse des phrases telles que celles-ci : « Une correspondance ? Qu’est-ce que cela prouve ? Quel est l’homme qui refuse à une coquine de lui écrire une trentaine de pages plus ou moins antidatées, si elle les lui demande, pour un mari ou pour le prochain amant ?… » Lorsqu’une femme conserve dans la place la plus douloureuse de sa mémoire la pointe empoisonnée de paroles semblables, lorsqu’elle a vu la source de la défiance jaillir sans cesse, aux moindres occasions, dans un cœur implacable, lorsqu’elle a constaté qu’elle ne gagnait aucun terrain sur cette défiance et que c’était toujours, toujours à recommencer, un infini découragement la terrasse, qui ne la quitte que pour céder le champ aux pires fureurs de la rancune et de l’indignation. Tel était le secret de l’imbrisable