Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/270

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avez osé rêver cela, cette monstruosité, ma fille et moi entre vous et… » Elle ne prononça pas de nom, mais, tragique, les coins de ses lèvres relevés et comme jouissant de venger ses propres blessures en enfonçant un couteau dans le cœur de son ancien amant : « Jamais, » insista-t-elle, « cela ne sera jamais, jamais, entendez-vous ? Oui, elle est votre fille, et elle est morte pour vous. Oui, c’est le vivant portrait de Julie, je le sais comme vous, et je sais aussi que vous ne la reverrez plus jamais, jamais. Et tant mieux si vous êtes sincère, car vous souffrirez. Oui, il y a une destinée dans notre rencontre. Oui, la Providence a voulu que justice se fît. Comment ! Vous auriez eu derrière vous, dans votre passé, ce crime d’avoir égorgé une malheureuse qui croyait en vous, elle, avec toute sa jeunesse, avec toute sa naïveté, de l’avoir séduite pour l’insulter ensuite, la brutaliser, la calomnier, l’abandonner. Vous auriez été l’assassin de ma vie, de mon bonheur, de ma conscience, de tout ce que j’avais en moi de noble et de tendre, et vous auriez été heureux !… Non ! Non ! cela ne sera pas. De nous deux c’est moi qui ai trop souffert, c’est à votre tour… »

— « Et moi je vais vous dire aussi de vous taire et que vous n’avez pas le droit de me parler de la sorte, » s’écria Francis. Cette attitude de martyre qu’il considérait comme la plus abominable des hypocrisies l’indignait de nouveau, au point