Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/273

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comme si évidente, comme si terrassante, qu’il ne trouva rien à répondre, sinon, avec une angoisse redoublée et qu’il ne dissimula point, ces quelques mots :

— « Si c’était vrai, comment m’avez-vous laissé partir ? Comment ne m’avez-vous pas répondu ? Comment ne m’avez-vous pas rappelé ? Comment ne m’avez-vous pas parlé il y a neuf ans comme vous me parlez aujourd’hui ?… »

— « Comment ? » gémit-elle, « Mais est-ce que je pouvais ? Mais vous avez donc tout oublié, et cet outrage quotidien de vos soupçons pendant des mois, et votre doute meurtrier, et le reste !… Vous avez oublié que vous m’avez frappée, oui, frappée comme une fille !… On perd courage devant un certain excès de cruauté. Et puis, est-ce que vous m’auriez crue ? Est-ce que vous me croyez ? Est-ce que vous me croirez dans une heure ? Est-ce qu’il y a des preuves ? Est-ce qu’on lutte contre des fatalités comme celle qui m’a fait sortir le jour même où vous avez vu cette créature entrer chez l’ami dont vous aviez la folie d’être jaloux ? Une ressemblance de démarche et un manteau !… Voilà les raisons qui vous ont suffi, à vous, pour m’accuser du plus ignoble dévergondage, pour mépriser, pour fouler aux pieds mon pauvre amour… J’ai désespéré, voilà tout. Et lorsque je me suis vue sur le point d’être mère, et seule, toute seule, à jamais seule, est-ce