Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/281

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Tandis qu’il s’en allait, par cette après-midi, le long des rues de la ville si lumineuse d’ordinaire, et qu’enveloppait en ce moment un aveuglant et mobile nuage de chaleur poussiéreuse, l’inquiétude grandissait de minute en minute dans le cœur de celle qu’il fuyait de cette fuite imprudente et passionnée. Il ne s’était pas trompé en croyant observer que Mlle Scilly le suivait, lors de sa sortie du salon, avec une expression étrange dans son ardent regard. Mais, si l’idée fixe l’eût moins absorbé depuis le fatal matin où il avait lu le nom de Mme Raffraye sur la liste des voyageurs dans le vestibule du Continental, ce n’est pas un regard pareil à celui-là, c’est vingt, c’est trente qu’il aurait surpris dans les prunelles bleues d’Henriette. Ces beaux yeux si clairs, si transparents, lui eussent été un douloureux miroir où il aurait lu l’éveil progressif d’un sentiment si nouveau pour celle qui l’éprouvait, qu’elle le subissait sans l’admettre. Il s’était calomnié en s’applaudissant durant ces derniers jours pour son triste talent à jouer la comédie devant cette chère âme à lui. Il n’était pas plus capable d’une pareille perfection d’hypocrisie, qu’elle n’était capable de ce complet aveuglement. Il l’aimait trop et elle l’aimait trop. Ce sentiment qui grandissait en elle depuis ces quelques semaines, ce n’était pas le soupçon. Elle était simple et droite. Elle avait toujours vécu dans un milieu simple et droit. Où