Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/292

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à l’heure et dans le tourbillonnement de sa pensée solitaire, lui était apparue comme le devoir même, lui sembla cette fois si dure, si cruelle, qu’il se fit horreur. Mais le coup était porté, il ne pouvait plus reculer. Il ne lui restait qu’à rassurer de son mieux les inquiétudes d’Henriette. Que serait-il devenu s’il avait deviné que ces inquiétudes n’étaient pas causées par une crainte au sujet de sa santé ? Pour la première fois depuis qu’il avait passé à cette main confiante la bague de fiancée, elle venait de douter de lui. Elle ne le croyait pas, et il était cependant bien sincère en insistant :

— « C’est si triste pour moi de perdre ces quelques beaux jours. Ce n’est qu’une séparation de deux mois. Comme elle est dure !… »

Non, Henriette ne le croyait pas. Il eut beau prodiguer durant toute la soirée des phrases pareilles et lui témoigner une tendresse qui, elle du moins, n’était pas feinte, il n’arriva pas à dissiper le reflet de mélancolie dont ce transparent visage s’était comme teinté à la nouvelle de ce départ inattendu. Il n’arriva pas davantage à éteindre la première petite flamme de lucidité qui s’était allumée dans ce cœur et qui allait s’y développer en un incendie soudain de passion et de jalousie. Et, durant toute cette soirée, il continua de ne pas s’apercevoir qu’il avait devant lui