Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/309

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dernière eut le sentiment que la conversation ne pouvait se prolonger. Elle allait, ou fondre en larmes, là, devant la petite, ou lui poser des questions honteuses. Elle eut l’énergie de se dominer, et doucement :

— « Non, je ne suis pas fâchée… Si on vous gronde, dites bien que c’est moi qui vous ai parlé… Et puis profitez de ce beau matin… »

Elle ne put pas prononcer une parole de plus. Elle avait trop mal. Ce qu’elle venait d’apprendre sur Francis dépassait trop follement toutes ses imaginations. L’idée qu’il s’était trouvé au chevet de Mme Raffraye évanouie, tremblant d’épouvante, et qu’il s’en était tu, lui paraissait si invraisemblable, si monstrueuse plutôt, enfin la coïncidence entre cette aventure qu’il avait tenue si étrangement cachée et son départ subit l’angoissait d’une manière si pénible, qu’elle fut sur le point de sortir, d’aller au-devant de lui, pour provoquer une explication tout de suite. Et cependant, cette explication dont elle avait besoin comme de respirer, elle l’attendit jusqu’à deux heures, par cet instinct de délicatesse qui atteste, dans les crises de passion, une naturelle magnanimité. Tout inintelligible, toute douloureuse que lui fût la dissimulation de son fiancé, dont elle venait d’acquérir une preuve aussi soudaine qu’irréfutable, elle l’estimait trop complètement pour croire qu’il eût eu de coupables raisons de se