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Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/37

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ses assiduités, un changement plus marqué dans les manières d’Henriette, si visiblement préoccupée et bouleversée, — tels avaient été les ingénus, les naïfs épisodes de ce petit roman. Chacun représentait pour la mère une émotion profonde, et une suprême, l’entretien qu’elle s’était décidée enfin à provoquer avec sa fille. Cette dernière avait avoué le secret nouveau de son cœur, sans hésiter, mais tremblante comme en ce moment tremblaient au-dessus du banc de marbre les feuilles d’un frêne pleureur agité doucement par la faible brise. Elle aimait Francis. Hé quoi ! sans rien savoir de lui davantage ? Sans qu’un mot d’entente eût été échangé entre eux ? Par quelle mystérieuse correspondance de sentiments ?… Mme Scilly se rappelait s’être posé ces questions avec effroi dans la nuit qui avait suivi cet aveu, et devant cette première émotion de sa fille qui n’était plus à elle seule, elle avait éprouvé une de ces jalousies morales, si profondes, si passionnées, — plaies saignantes des plus nobles mères, et si profondes qu’elles sont impossibles à guérir, sinon par la vue de la félicité absolue de leur enfant. Oh ! Comme la comtesse avait prié cette nuit-là ! Comme elle avait demandé un secours d’en haut qui lui marquât son devoir ! Avec quelle prudence et quel tremblement intérieur, elle aussi, elle avait, sur le conseil du père Juvigny, le vieux Dominicain, son directeur,