Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/391

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celle qui a inspiré ce cri sublime à un moine affamé d’agonie. — « Comme je suis lâche et faible ! » se dit-elle tout à coup. « La question n’est pas de savoir si je serai ou non plus malheureuse encore que je ne le suis. J’ai été choisie pour être l’instrument du salut de Francis. Je le serai… » C’est dans cette hypothèse d’une prédestination providentielle que cette âme exaltée avait déjà transformé le conseil de simple et pieuse résignation donné par sa mère, et elle eut le courage de revenir en pensée à cet étrange, à ce douloureux projet contre lequel s’était une première fois insurgé tout son cœur. « Si je n’étais pas là, cependant, » songeait-elle, « si Francis avait rencontré Mme Raffraye et la petite fille, il y a deux ans par exemple, n’emploierait-il pas lui-même tous ses efforts pour avoir le droit de s’occuper d’elle ? Ne serait-ce pas son devoir ? Entre ce devoir et lui, qu’y a-t-il maintenant ? Une promesse envers moi qu’il n’aurait jamais faite, que je n’aurais jamais acceptée si j’avais su ce que je sais aujourd’hui… » L’amour, qui ne se rend pas à des raisonnements, élevait alors sa voix. Elle se disait : « Si je me sacrifie pourtant, et si ce sacrifice est inutile ? Si je me décide à rompre nos fiançailles irréparablement, afin qu’il puisse se donner tout entier à cette femme et à cette petite fille retrouvées par un miracle, et si cette femme le repousse, comme elle l’a déjà repoussé ?… » Cette