Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/430

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tant de douleurs, ces douleurs qui avaient peu à peu consumé sa vie au point de faire d’elle ce frémissant fantôme que Francis avait tenu entre ses bras, dont il croyait sentir encore le contact, en ce moment même où il lui disait de par delà des flots, toujours et toujours plus nombreux, cet impuissant adieu d’un inutile repentir ?…

Le bateau s’était éloigné encore ; mais, au lieu de tourner comme avait fait l’autre, une fois arrivé en pleine mer, pour se diriger du côté de Trapani et de l’Afrique, il allait tout droit vers l’Italie et vers Naples, de plus en plus enveloppé par la pourpre du soleil couchant qui emplissait maintenant la moitié de l’immense horizon. Le contraste entre cette splendeur immortelle et la funèbre image de ce cercueil de femme emporté ainsi sur les lames sombres ne noyait pas le cœur du jeune homme de la tristesse qu’il avait éprouvée cinq semaines auparavant… Non pas qu’il eût cessé de sentir la double et saignante blessure de ses fiançailles brisées et de son remords, mais une évolution s’était faite en lui qui lui permettait de se redresser en ce moment et de regarder en face cet horizon comme il regardait sa destinée. Cinq semaines plus tôt, quand il se tenait debout à cette même place, devant le paquebot qui lui enlevait Henriette, les plus violentes révoltes de l’amour mutilé grondaient en