Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

se disait-il ; « je dois l’oublier si je veux vivre, et je l’oublierai. »

C’est une des idées fausses les plus communément reçues sur l’amour qu’il abolit tout dans un cœur, et d’abord l’orgueil. Heureux les amants pour lesquels il en est ainsi ! Malheureux au contraire ceux chez lesquels cet orgueil subsiste, vivant et impérieux à côté de la passion la plus sincère pourtant, la plus violente. Cette coexistence constitue une des pires maladies qui puissent nous ronger. Le voyage alors, au lieu de nous être un remède, empoisonne seulement cette double blessure. Dans la solitude des soirs, que de larmes nous versons avec la triste vanité de nous dire : « Elle ne les voit pas !… » Dans la lumière des horizons, que d’images s’évoquent, l’une nous représentant la grâce de celle que nous avons quittée, une autre sa caresse la plus douce, un geste qu’elle avait entre nos bras, ses cheveux épars sur son front, la mélancolie tendre de son regard dans les divins moments ! Et aussitôt, associant à l’idée d’un rival abhorré ces souvenirs qui tiennent aux cordes les plus vivantes de notre être, une douleur nous étreint contre laquelle nous n’avons qu’un soulagement, — il est si misérable ! — celui de nous répéter que nous avons rompu par notre propre volonté. Que ne donnerions-nous pas pour savoir ce que fait celle