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LE DISCIPLE

de ces teints bistrés derrière lesquels le sang coule, riche en fer et en globules, un front carré dans un casque de cheveux très noirs, une moustache de la couleur des cheveux sur des lèvres serrées et fermes, des yeux bruns rapprochés d’un nez un peu busqué, ce qui donne au profil un vague caractère d’oiseau de proie. Enfin un menton découpé hardiment et frappé d’une fossette achève cette physionomie dans un caractère d’invincible volonté. Et la volonté, c’est bien là ce personnage : l’action faite homme. Il semble qu’il n’y ait, dans cet officier rompu à tous les exercices du corps, prêt à toutes les bravoures, aucune rupture d’équilibre entre penser et agir, et que son être passe toujours tout entier dans ses moindres gestes. Je l’ai vu, depuis ce premier soir, monter à cheval de manière à réaliser devant moi la fable antique du Centaure, mettre au pistolet dix balles de suite à trente pas dans une carte à jouer, sauter des fossés à la promenade et pour se divertir, avec la légèreté d’un gymnaste de profession, de même que, parfois, et pour amuser son jeune frère, il franchissait une table en y posant seulement les deux mains. J’ai su que, pendant la guerre, et quoiqu’il n’eût encore que dix-sept ans, il s’était engagé, et qu’il avait fait toute la campagne, résistant aux pires fatigues et rendant du cœur aux vétérans. Il me suffit de l’étudier, au dîner, ce premier soir, mangeant posé-