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LE DISCIPLE

regarder avec étonnement. Il faut vous dire, mon cher maître, qu’aux temps de mon amitié avec Émile, j’avais acquis un réel talent de diction. Durant sa maladie, mon petit camarade n’avait pas de plus vif plaisir que de m’écouter lui lire de longs passages choisis dans nos auteurs préférés. Ma voix, que j’ai naturellement un peu sourde, s’était exercée ainsi à devenir douce et claire.

— « Mais vous lisez très bien, très bien !… » s’écria M. de Jussat, lorsque j’eus fini. Son étonnement fit de son éloge une nouvelle blessure à mon amour-propre. Il laissait trop voir combien peu il s’attendait à rencontrer le moindre talent chez un petit jeune homme de Clermont, silencieux, timide, venu au château sur la recommandation du vieux Limasset, pour y être valet de lettres. Puis, suivant comme d’habitude l’impulsion de son caprice, il continua :

— « C’est une idée, cela… Vous nous ferez un peu de lecture, le soir… Ça nous distraira plus que ce trictrac… Petit jan, grand jan, jan de retour, un trou, deux trous, trois trous, c’est toujours la même chose, et puis ce bruit de dés m’agace… Chien de pays !… Si la neige reprend, nous n’y restons pas huit jours… Tu ris, Charlotte, et tu te moques de ton vieux père ! Pas huit jours… Et quel livre allez-vous nous choisir pour commencer ?… »