Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/51

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et rapide rivière qui roule sauvagement vers le Rhin son eau d’une si glauque nuance, animait seule le silence de la vallée, rendu par la nuit à son repos d’asile. Mme Liébaut écoutait cette plainte, ses yeux erraient sur cet horizon d’ombres épaisses, de vapeurs transparentes, de clartés élyséennes, et elle se disait :

– « Pourquoi ce qui n’a été qu’une plaisanterie dans notre adieu de la gare ne deviendrait-il pas une réalité ?… Oui. Pourquoi ?… Agathe me dit toujours qu’elle déteste les gens de son monde. Elle vit parmi des oisifs et des médiocres. Si cependant on arrivait à lui présenter comme candidat à sa main un homme tel que celui-ci, déjà glorieux à trente-trois ans et qui a tout pour lui : cette beauté physique d’abord, – avant de rien savoir de lui, n’ai-je pas eu l’impression, rien qu’à la regarder, qu’il était à part des autres ? – un admirable caractère ensuite, – le témoignage de son chef et de ses actions l’atteste ; – la poésie enfin d’une destinée malheureuse. Favelles ne m’a-t-il pas dit qu’il était pauvre et aussi qu’il avait dû demander un congé, tant nos gouvernants le persécutent de mesquines tracasseries ?… Mais pour qu’Agathe s’éprenne de lui et qu’il s’éprenne d’elle, il faut qu’ils se connaissent et elle est partie, et lui il va peut-être partir… S’il part, c’est une chose finie… Partira-t-il ? Non. Il en a peut-être eu l’intention une minute, quand