Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/74

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blanc, j’ai bien cru que c’était fini. Je tire quand même, et cette fois je traverse le cœur. Mais l’élan du lion était pris, et il me serait tombé dessus si je n’avais fait un écart qui ne l’a pas empêché de m’emporter le bras à moitié dans son agonie… Voilà toutes mes chasses aux lions, mademoiselle, » conclut-il, « et je n’ai même pas la peau de celui-là. Nous étions pressés et n’avions que trop de bagages. Nous l’avons abandonné…

– « L’existence d’Europe doit vous paraître bien monotone, par contraste avec des sensations pareilles… » dit Mme Liébaut, après un silence.

– « Quelquefois, » répondit-il. « Mais ce ne sont pas les dangers qui rendent les expéditions comme celles-là inoubliables. Ce sont des impressions de libre nature comme on n’en retrouve plus dans nos vieux pays trop civilisés. Puisque nous en sommes sur le chapitre des lions, permettez-moi de vous raconter un autre épisode, moins tragique, mais plus significatif… Il m’est arrivé une nuit, au camp, d’être réveillé par un bruit singulier. Je regarde à travers un des interstices de la toile, et je vois, dans la clairière où nous avions dressé nos tentes, un lion, sa lionne, et deux lionceaux qui passaient. La lune inondait le camp d’une lumière aussi distincte que celle du jour. Le mâle était visiblement inquiet. Il considérait ces cônes blancs placés de distance en