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Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/168

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pauvre René, qui revenait chez lui en ce moment même, enivré d’idolâtrie, l’avait aperçue à travers l’espace, sans rien entendre de la conversation, il aurait certes trouvé sur ce noble visage l’expression de la plus divine pudeur. Sans doute, pour le baron, ces paupières baissées et le regard d’auparavant représentaient des souvenirs d’un ordre moins pur ; car ses yeux, à lui, s’allumèrent, le sang afflua sur ses joues dont la couperose révélait l’amour de la chère trop délicate, vice dangereux que Desforges manœuvrait comme il faisait tout dans la vie : « Je suis, » disait-il, « un équilibriste de la goutte et de l’ataxie… » Il flatta de la main sa moustache, et avec un ton de voix un peu plus sourd, où sa maîtresse put deviner, une fois de plus, combien elle était puissante sur les sens de ce viveur vieillissant, il reprit, changeant le tour de la causerie :

— « Qui avez-vous à l’Opéra ce soir ? »

— « Mais, madame Éthorel, toute seule. »

— « Et comme fond de loge ? »

— « Mon mari d’abord. Éthorel s’est excusé… Crucé, naturellement. »

— « Ce que cette liaison a dû lui rapporter, rien qu’en commissions ! » exclama Desforges. « Il vient encore de lui servir un cartel Louis XIV qu’elle a payé vingt mille francs… Je parierais qu’il en a touché dix mille… »