Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/183

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durant la soirée de la comtesse, émotion qui continuait plus forte ? … C’est qu’entre son mari— le brave cœur, — et Desforges— l’excellent ami, — Suzanne s’ennuyait depuis quelques mois, sans s’en rendre compte. Cette vie du monde et de l’élégance, objet de tous ses sacrifices, lui devenait fade et comme insipide. Elle appelait cela : être trop heureuse. « Il me faudrait un petit chagrin, » disait-elle plaisamment. Le fait est qu’elle ressentait cette courbature intime que produit l’assouvissement continu, cette lassitude à la fois physique et morale qui s’observe surtout chez certaines femmes entretenues, que l’on voit tout à coup, avec stupeur, désorganiser une vie échafaudée jusque-là avec un art infini. Elles avaient besoin de sentir autrement, et, pour tout dire, d’aimer. Elles font des folies, du jour où elles ont rencontré l’homme qui peut remuer leur âme blasée de jouissances vaines, celui que l’énergique argot des filles appelle « leur type. » Pour madame Moraines, qui venait d’atteindre à ses trente ans, sursaturée, comme elle était, du plus raffiné bien-être, sans ambition aucune à réaliser et sans la moindre illusion sur les hommes qu’elle rencontrait dans son monde, l’apparition d’un être aussi nouveau que René, si peu pareil aux comparses habituels des salons, pouvait devenir et devint une espèce d’événement. La curiosité