Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/216

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je n’avais qu’à recopier… Mon cher, pas un mot d’écrit, pas ça… Mais une idée ! Refaire Adolphe à la moderne, avec notre notation, notre couleur, notre sens des milieux… Ce sera bâclé, gâché ! Ah ! si ce n’était que cela ! Mais savez-vous ce que c’est que d’écrire avec toutes les vipères de la jalousie dans le cœur ? … Je suis à ma table, en train de griffonner une phrase ; une idée s’est levée, je vais la tenir… Allons donc ! Une voix me dit tout d’un coup : — Que fait Colette ? …— Et je pose ma plume, et j’ai mal, j’ai mal… Ah ! que j’ai mal ! … Balzac prétendait avoir pesé ce que l’on dépense de substance cérébrale dans une nuit d’amour… Un demi-volume… et il ajoutait : — Il n’y a pas de femme qui vaille deux volumes par an…— Quelle sottise ! Ce n’est pas l’amour physique qui use un artiste ; mais ce souci, mais cette idée fixe, mais ce battement continu du cœur ! … Est-ce qu’on peut penser et sentir à la fois ? … Il faut choisir. Hugo n’a rien senti, jamais ; ni ce même Balzac. S’il avait aimé sa Mme Hanska, il lui aurait couru après à travers toute l’Europe, en se souciant de la Comédie humaine comme moi de cette ordure… » Et il ramassa les feuilles éparses sur son bureau. « Ah ! mon cher René, » continua-t-il d’un air accablé, « gardez votre vie simple. J’espère que vous