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Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/248

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Tout le séduisant manège de Suzanne, dans lequel il lui était impossible de reconnaître un calcul, cesserait du coup s’il parlait, et il reprit, comme si sa phrase se fût appliquée seulement aux circonstances générales de sa vie :

— « Claude Larcher me le dit souvent, que je n’aurai pas de plus belle époque dans ma destinée littéraire. Il y a quatre moments, prétend-il, dans l’existence d’un écrivain : celui où on l’ignore, celui où on l’acclame pour désespérer ses aînés, celui où on le diffame, parce qu’il triomphe ; le quatrième, où on lui pardonne, parce qu’on l’oublie… Ah ! que je regrette que vous ne le connaissiez pas mieux, il vous plairait tant ! … Si vous saviez comme il aime les Lettres, c’est pour lui une religion ! … »

— « Il est un peu trop naïf tout de même, » songea Suzanne, mais elle était trop intéressée au résultat de cet entretien pour se laisser aller à un mouvement d’impatience. Elle s’empara de ce que René venait de dire, et elle répondit, interrompant ainsi l’éloge inutile de Claude : « Une religion ! … C’est vrai, vous sentez ainsi, vous autres… J’ai une de mes amies qui en a fait la mélancolique expérience et qui me le répète toujours : une femme ne devrait pas s’attacher à un artiste. Il ne l’aimera jamais autant qu’il aime son art… »