Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/249

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Elle prit, pour rappeler cette parole prêtée gratuitement à cette amie, aussi imaginaire que l’entorse, une physionomie douloureuse ; ses lèvres rouges s’ouvrirent dans un léger soupir, celui d’une âme qui a reçu de navrantes confidences, et qui prévoit, qui pressent pour elle-même des douleurs pareilles.

— « Mais c’est vous qui êtes triste, » dit René, saisi par l’altération soudaine de ce joli visage.

— « Allons donc ! … » pensa-t-elle, et tout haut : « Laissons cela. Qu’est-ce que mes tristesses à moi peuvent vous faire ? »

— « Croyez-vous donc, » repartit René, « que vous soyez pour moi une indifférente ? »

— « Indifférente ? … non, » fit-elle en secouant la tête ; « mais quand vous m’aurez quittée, penserez-vous à moi autrement qu’à une personne sympathique, rencontrée par hasard, oubliée de même ? »

Jamais elle n’avait paru aussi délicieuse à René qu’en prononçant ces paroles, qui allaient jusqu’à l’extrémité de ce qu’elle pouvait se permettre sans détruire son œuvre. Sa main gantée était posée sur le canapé de velours, tout près du jeune homme. Il osa la prendre. Elle ne la retira pas. Ses yeux semblaient fixer une vision à travers l’espace. Avait-elle seulement pris garde au geste