Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/250

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de René ? Il y a des femmes qui ont ainsi une façon céleste de ne pas s’apercevoir des familiarités que l’on se permet avec leur personne. René serra cette petite main, et, comme elle ne le repoussait pas, il commença de parler, d’une voix que l’émotion rendait sourde, plus encore que la prudence :

— « Oui, vous devez penser cela, et je n’ai pas le droit de m’en étonner. Pourquoi croiriez-vous que mes sentiments à votre égard sont d’une autre sorte que ceux des jeunes gens que vous rencontrez dans le monde ? … Et cependant, si je vous disais que, depuis le jour où je vous ai parlé chez madame Komof, ma vie a changé, et pour toujours.— Ah ! ne souriez pas.— Oui ! pour toujours ! — Si je vous disais que je n’ai plus nourri qu’un désir : vous revoir ; que je suis monté chez vous, le cœur battant ; que chaque heure, depuis lors, a augmenté ma folie ; que je suis arrivé ici dans un ravissement et que je vais vous quitter dans un désespoir… Ah ! vous ne me croyez pas… On admet cela dans les romans, ces passions qui vous envahissent le cœur, en entier, tout d’un coup et à jamais… Est-ce que cela arrive dans la vie ? … »

Il s’arrêta, éperdu des phrases qu’il venait de prononcer. Il avait, en achevant de parler, cette impression étrange qui nous étreint, lorsque,