Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/301

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le poète avait appendu de petites poupées japonaises. Il passa dans ces beaux yeux le reflet des voiles de cet ange gardien dont elle avait osé parler, s’envolant là-bas, là-bas… Puis elle reporta ces yeux bleus sur René, et avec tout l’abandon d’un cœur vaincu, elle lui dit :

— « Je suis perdue maintenant, mais qu’importe ? Je vous aime trop… Je ne sais plus rien, sinon que je ne peux pas supporter de vous savoir malheureux… »

Des sanglots la secouaient, convulsifs, et de nouveau sa tête s’abattit sur l’épaule du jeune homme, qui recommença de lui donner des baisers. Comme enfantinement, elle lui mit les bras au cou et elle appuya ses seins contre cette poitrine, où elle put sentir battre un cœur affolé. Elle vit encore passer dans le regard de René cette fièvre du désir qui conduit les plus timides et les plus respectueux aux pires audaces. Elle dit encore : « Ah ! Laissez-moi, » et se releva pour s’échapper des bras qui la pressaient, mais cette fois elle recula du côté du lit. Il la poursuivit, et, en la serrant contre lui, il sentit ce corps si souple tout entier contre le sien. Les mots de l’amour le plus insensé lui venaient aux lèvres, et, emportant Suzanne entre ses bras dont la force était décuplée par la passion, il la mit sur le lit, et, s’y jetant à côté d’elle, il la couvrit des