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Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/365

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irréfutable, s’il eût constaté sur la physionomie de madame Moraines un seul de ces passages de mélancolie qu’il s’était attendu à y rencontrer. Tout au contraire, dans son élégante robe de théâtre en dentelle noire, et ses cheveux blonds coiffés d’un chapeau rose, elle lui apparaissait complètement heureuse, sans pensée aucune de derrière la tête. Elle avait une si libre façon de rire aux plaisanteries de la pièce, la gaieté de ses yeux se faisait si franche, si communicative lorsqu’elle échangeait ses réflexions avec l’un ou l’autre de ses deux cavaliers ; elle croquait, avec une si gentille gourmandise, à de certains moments, les fruits glacés de la boîte posée devant elle, qu’il était impossible de soupçonner qu’elle eût accompli le matin un pèlerinage à l’asile de ses plus secrètes, de ses plus profondes amours ! L’émotion du rendez-vous avait si peu laissé de trace sur ce visage, comme rayonnant de frivolité, que René en croyait à peine son propre regard. Il s’était attendu à la trouver tellement autre. Le mari non plus, avec la jovialité cordiale de son mâle visage, ne ressemblait guère à l’homme obscur, ombrageux et renfermé, que l’amant crédule s’était figuré d’après les confidences de sa maîtresse… Le malheureux était venu chercher au théâtre un apaisement définitif du trouble où l’avait jeté le discours de Colette.