Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/40

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Avec ses robes coupées à la maison et où gauchissait sa jolie taille, avec ses chaussures achetées toutes faites et où se perdait son pied menu, avec la modestie de ses cols blancs et de ses pauvres manchettes, elle se sentait comme devenir humble à la pensée des grandes dames qu’allait rencontrer René. Voilà pourquoi son aiguille tremblait, pourquoi ses paupières battaient plus vite, pourquoi son cœur se serrait d’une vague épouvante, tandis que le professeur insistait afin que Claude acceptât un verre de liqueur et roulât une cigarette de maryland :

— « C’est de l’excellente eau-de-vie de cidre qu’un de mes élèves m’a envoyée de Normandie… Non vraiment ? … Mais vous l’aimiez autrefois… Vous rappelez-vous lorsque nous donnions des cours chez le Vanaboste ? … Quatre heures par jour, y compris le jeudi, et les copies. Cent cinquante francs par mois ! … Étions-nous gais en ce temps-là ? … Nous avions un quart d’heure entre les deux classes, durant lequel vous me conduisiez rue Saint-Jacques, je vois encore la petite salle du café, boire un verre de cette eau-de-vie pour nous soutenir. Vous appeliez cela vous durcir l’artère, sous prétexte que l’homme a l’âge de ses artères et que l’alcool diminue leur élasticité… »

— « J’avais douze ans de moins, » dit Claude en riant