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Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/482

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insensée que fût cette proposition au regard d’une Parisienne habituée à ne rencontrer la passion que sous une forme conciliable avec les exigences et les commodités de la vie sociale, Suzanne n’eut pas une minute de doute. René s’exprimait dans la pleine vérité de son cœur, mais cette vérité comportait un tel excès d’amour qu’elle ne douta pas non plus de son triomphe final sur les révoltes et sur les folies du jeune homme.

— « Ah ! » répondit-elle toute frémissante, « que tu es bon de me parler ainsi ! Que tu m’aimes ! Que tu m’aimes ! Oui, que tu m’aimes ! … » Elle frissonnait en prononçant ces mots, et penchait un peu sa tête, comme si le bonheur de cette évidence eût été presque impossible à soutenir. « Dieu ! que c’est doux ! … » dit-elle encore. Puis, s’avançant vers lui, et lui prenant la main, presque avec timidité cette fois, pour la lui serrer d’une pression lente : « Enfant que tu es, que viens-tu m’offrir ? … S’il ne s’agissait que de moi, comme je te dirais : Prends toute ma vie, et tu ne sais pas comme j’y aurais peu de mérite ! … Mais la tienne, est-ce que je peux l’accepter ? Tu as vingt-cinq ans et j’en ai plus de trente. Ferme les yeux et vois-nous dans dix ans… Je suis une vieille femme et tu es encore un jeune homme… Et alors ? … Et puis ton travail, cet art auquel tu es si attaché que