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Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/484

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Je serai ton esclave, ta chose. Tu m’appelleras, je viendrai. Tu me chasseras, je m’en irai… Ne me regarde pas avec ces yeux, je t’en conjure, laisse fondre ton cœur ! … Quand tu es venu à moi, est-ce que je t’ai demandé si tu avais une autre maîtresse ? Non, je n’ai eu qu’une idée : te rendre heureux. Si je t’ai tout caché des tristesses de mon existence, dis ! comment peux-tu m’en vouloir ? Vois, je suis par terre devant toi, et je te supplie… » Elle s’était jetée à ses pieds, en effet. Que lui importait la prudence maintenant, et la possibilité de l’entrée d’un domestique ? Et elle s’attachait à ses vêtements, en se traînant sur les genoux. Elle était admirable de beauté, les yeux fous, son ardent visage éclairé par tous les feux de la passion, et montrant à plein la sublime courtisane qu’elle avait toujours été, mais voilée. Les sens de René étaient bouleversés, mais un souvenir cruel lui revint tout d’un coup, et il lui jeta, comme une insulte, avec un ricanement :

— « Et Desforges ? … »

— « N’en parle pas, » gémit-elle, « n’y pense pas ! Si je pouvais le renvoyer, le mettre à la porte, est-ce que tu crois que j’hésiterais ? Ne sens-tu pas que je suis prise ? Mon Dieu ! mon Dieu ! on ne torture pas une femme ainsi… non, » ajouta-t-elle d’un air sombre, toujours à genoux,