Page:Bourget - Un homme d’affaires - Dualité - Un Réveillon - L’outragé, Plon, 1900.djvu/61

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habite et se meut le spéculateur de grande espèce, celui qui, cent fois dans son existence, s’est demandé s’il ne sera pas obligé demain de se brûler la cervelle, qui a lui-même acculé au suicide des rivaux avec lesquels il avait dîné et chassé cent fois, subi et infligé les plus meurtrières émotions du jeu et de la guerre, rien qu’en donnant une signature ou en regardant la cote. Aussi Gabriel Clamand aurait-il été, non pas tout simplement impressionné d’une façon pénible, mais consterné de terreur, s’il avait pu savoir ce que signifiait l’ironique rictus surpris sur l’impassible visage du châtelain de Malenoue, en train de mener ses poneys à travers son parc pour gagner plus tôt la gare et, de là, son bureau. Cette rencontre matinale de l’officier en train de rêver romanesquement sous les arbres d’automne représentait pour le mari trompé une preuve de plus à joindre à tant d’autres que Gabriel était amoureux. Cela, Nortier le savait, et de qui, et que ce sentiment était partagé. Il savait aussi qu’après-demain, demain, ce soir peut-être, sa femme, qui protégeait cet amour du jeune homme, viendrait le sonder sur son consentement. Il savait que San Giobbe,