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Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/47

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compte aujourd’hui cinquante mille habitants. Il l’a baptisée du nom de sa femme : Marionville. Sa fortune, il l’a construite de ses mains, à la lettre. On raconte qu’il a posé lui-même sur la prairie, avec ses ouvriers, les premiers kilomètres des rails de sa Compagnie, elle en couvre plus de trois mille maintenant. Etudie-les, ces mains de travailleur. Elles se détachent si bien sur le tapis vert, à présent… Vois comme elles sont fortes, mais pas communes. Les nœuds aux doigts disent la réflexion, le jugement, le calcul. Les bouts de ces doigts sont un peu trop spatules : c’est la tyrannie de l’action, le goût du mouvement et une tendance aux idées lugubres. Je te raconterai sa conduite après la mort de sa fille… Tu vois le pouce ? Les deux phalanges sont grandes et égales : c’est la volonté et la logique réunies. Il est rejeté en arrière : c’est la prodigalité. Marsh a donné cent mille dollars à l’université de Marionville… Et vois ses gestes, quelle décision, quel calme dans son jeu, quelle absence d’énervement ! … Est-ce un homme, cela, oui ou non ? »

— « C’est surtout un monsieur qui a beaucoup d’argent, » dit Hautefeuille que la conviction de son camarade avait amusé, « tant d’argent qu’il lui est égal d’en perdre… »

— « Et cet autre à deux places de Marsh, » reprit Corancez, « il n’en a donc pas, de l’argent, lui ? Ce personnage à rosette, très rouge, avec cette figure sinistre ! Tu ne le connais pas ? c’est Brion, le financier, le directeur de la Banque générale.