CHAPITRE V
Jamais notre conversation n’avait été aussi singulière,
aussi hallucinante qu’à ce moment où nous
nous comprenions très difficilement, mais sans cesser
un seul instant de nous comprendre, je crois,
et où c’était la même ardeur qui éclairait d’un jour
différent nos pensées, et nous partageait inégalement
ses rayons comme à deux promeneurs cheminant
l’un à l’ombre de l’autre dans le soleil d’été :
« C’est une grâce pour l’amour, lui dis-je encore,
de ne pas savoir ce qu’il fait. « Mais il me répondit,
oui, quand c’est de vous qu’il s’agit, mais, pour
moi, aimer c’est donner à ma dégradation physique
des yeux pour me voir et une conscience pour me
juger. Je ne suis l’homme de mon cœur que dans
la honte d’être vivant.
« Les autres sont comme moi en dehors de leur
amour. Mais rien ne les sépare de lui. On dirait que
leur corps entre sans les éveiller dans l’idée de ce
qu’ils adorent. Ils sont, eux, comme l’inconscience