me regardait avec une espèce d’animosité qui me
surprit de la part d’un homme si courtois et trop
égoïste pour se former une opinion vraiment profonde
sur la pensée des autres :
« Dans l’amour partagé on ne voit pas les objets,
on leur donne la vie ; si on les perçoit, c’est, non
pas par un acte de connaissance, mais par un acte
de création.
« Celui qui est aimé apprend tout de son amour,
même le nom et la couleur des choses et ce qu’il
doit penser d’elles, qui ne font qu’un avec son
amour pour lui inventer le bonheur.
« Mais un amour malheureux n’est qu’un chemin
dans nos pensées. Il s’est brisé sur le monde pour
donner toute la richesse possible à l’idée que l’on est
seul. Il n’y a rien de plus atroce pour quelqu’un
d’un peu passionné, que ce tourment de vérité où
sa douleur le regarde, — où il lui semble que toute
la douleur du monde est dans la sienne pour le
juger.
« Je n’en serais pas sorti par mon seul amour, c’est
la force de mon malheur qui m’en a sorti. Je me suis
débarrassé par la vue de mes faiblesses, de ce qui
empêchait mon amour de se faire homme pour me
chasser. On dirait qu’une passion dont je suis
devenu le sang et la force achève de se dépouiller
en moi de son humanité. Et quand Petite-Fumée
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