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DES ÉTUDES JURIDIQUES ET POLITIQUES.

éveillent, des passions qui les épousent ou qui s’en couvrent, des intérêts qui les prennent pour mot d’ordre. Autant qu’il peut y avoir de vérité dans une formule de cette ampleur, le jurisconsulte travaille dans le nécessaire et le simple, l’homme d’État dans le contingent et le multiple, et leurs buts, leurs méthodes, leurs procédés ne sont pas moins différents que la matière qu’ils mettent en œuvre.

On a souvent reproché aux jurisconsultes de manquer de largeur d’esprit et aux hommes politiques de manquer de principes. Cette double accusation n’est fondée qu’en partie ; mais il est constant que si les uns et les autres cessaient absolument de la justifier, l’État en recevrait un sensible dommage. La croyance à l’absolu est une condition essentielle de bonne justice. Le juge qui ne croit pas trop à l’autorité de ses maximes est bien près de n’y pas croire assez. Le jour où il s’aviserait de reconsidérer les bases de ses jugements et de trouver qu’elles n’ont qu’une valeur relative, verrait se multiplier les « questions pour l’ami », comme les appelle Montaigne, j’entends celles où l’absence d’un précepte clair, net et indiscuté rend au magistrat la liberté d’écouter ses préférences pour les personnes. À l’opposé, la condition d’une bonne politique est d’avoir l’esprit purgé de principes abstraits et inconditionnels. Il ne faut pas qu’entre soi et l’intérêt public qu’on cherche à discerner et à rejoindre, on rencontre une palissade de maximes raides et tendues qui arrêtent la vue et barrent le chemin. La foi à l’absolu agirait comme ces ankyloses qui font que le bras est plus capable de frapper fort, en s’abattant comme une masse, moins capable de se porter rapidement à droite et à gauche. L’homme d’État n’en doit garder que la partie morale, le nécessaire de l’honnête homme.

Ainsi, à ne considérer les études juridiques et les études politiques que comme des moyens d’adaptation intellectuelle, et à les juger d’après les personnages qu’elles sont appelées respectivement à former, il y a bien des raisons de pressentir que deux groupes si différents et même si opposés dans leur but et par leurs produits ont besoin d’avoir chacun son milieu à lui, et qu’ils ne doivent être mis en communication ou rapprochés qu’avec des précautions et des ménagements extrêmes.

Quittons maintenant ces perspectives générales, pour considérer de plus près et en elles-mêmes les études juridiques et les études politiques.

Dans les Facultés de droit, l’observateur distingue à première vue un groupe qui fait masse au centre même de tout le système : ce