Page:Boutroux - De l’idee de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines.djvu/57

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changement, dans la doctrine dont il s’agit, implique une destruction et une production de formes substantielles qui est en contradiction avec l’homogénéité et la continuité des phénomènes proprement mécaniques. Mais cette manière de voir est très défavorable à la science ; car les choses, ainsi considérées, se prêtent difficilement à l’application des mathématiques. Aussi Descartes opéra-t-il une révolution féconde en dépouillant les choses des qualités sensibles et en rapportant celles-ci au sujet connaissant. Pour Descartes, la clarté des idées est la marque de leur vérité. Or, la qualité sensible n’est pas objet d’idée claire. Elle ne saurait donc exister telle qu’elle nous apparaît. Au contraire, l’étendue et le mouvement sont objets d’idées claires. De plus, nous avons une tendance naturelle à rapporter nos sensations à des choses étendues comme à leur cause ; et, en vertu de la véracité divine, cette tendance doit faire loi pour nous. Nous affirmerons donc a priori que l’étendue et le mouvement doivent suffire à expliquer tous les phénomènes de la nature. La physique, dès lors, ne sera qu’une suite de la mécanique.

Cette théorie ne put d’emblée s’appliquer aux faits ; et, au xviiie siècle, on superposa au mouvement des agents physiques spéciaux. L’électricité fut expliquée par deux fluides opposés ; la lumière, la chaleur, le magnétisme, par des fluides distincts. Toutefois le principe cartésien ne fut jamais complètement abandonné : il demeura comme indiquant l’idéal de la science parfaite.

Dans notre siècle, on tend de nouveau à éliminer les qualités et à ramener le physique au mécanique. La théorie mécanique de la chaleur en est la preuve. Conformément à la tradition cartésienne, de nombreux savants estiment que le mouvement suffit à expliquer