Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/13

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vité intellectuelle — cet effort désintéressé de toute une vie concentré sur les objets les plus immatériels, les plus éloignés des préoccupations courantes de l’humanité — exige un point d’appui, suppose un stimulant, qui ne peut être fourni que par les conceptions dont nous parlons. Comme le remarque encore M. Émile Picard, l’homme qui pratique les sciences a besoin, pour se soutenir, de certaines convictions ; il doit avoir, il a certainement, un credo scientifique[1].

Sans doute. Mais apparemment, le credo du savant est souvent un peu simpliste et il n’est pas aisé d’en déterminer exactement les fondements. Lorsque l’on cherche à l’analyser, on a l’impression que ce credo repose en définitive sur une sorte de foi mystique dans le progrès et les destinées de la science. Comme le grand conquérant, l’homme de science est tenté de croire à son étoile, — influence mystérieuse qui oriente vers un but commun la série éparse de ses recherches, l’ensemble en apparence désordonné de ses travaux. Sentant, d’autre part, mieux qu’aucun autre, qu’il est impossible de faire des travaux de valeur à moins d’être doué, il idéalise plus ou moins consciemment cette obscure notion de don jusqu’à en faire une sorte d’inspiration. Et voilà pourquoi il n’a que faire de règles objectives, de conceptions systématiques pour conduire et pour justifier son travail. Il se dirige d’instinct, en homme inspiré ; les découvertes surgissent

  1. Émile Picard, loc. cit., p. 33 et suiv.