Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/160

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que les théories mathématiques sont une création libre de l’esprit humain ; d’autre part, que ces théories jouent dans la science générale, le rôle de simples intermédiaires, qu’elles sont seulement des instruments de démonstration fabriqués par le savant pour atteindre certaines fins.

Nous voyons comment ces vues achèvent de ruiner la conception classique de la science.

Pour ceux qui les adoptent, en effet, la Mathématique cesse d’être une science objective et les notions qu’elle étudie n’ont plus de valeur par elles-mêmes. Désormais on ne doit plus voir dans l’algèbre ou dans la démonstration géométrique qu’une méthode qui réussit. Les propriétés mathématiques ne sont ni vraies, ni fausses, ni belles ou intéressantes ; elles sont seulement conformes aux définitions et aux axiomes, aux hypothèses d’où elles résultent. Ces hypothèses sont d’ailleurs conventionnelles, et, lors même qu’elles choqueraient le sens commun, elles n’en seraient pas moins légitimes si elles n’impliquent aucune contradiction logique. Quant à leur opportunité on ne peut l’apprécier que d’après deux critères : l’utilité et la commodité de la science que l’on fonde sur eux. En modifiant définitions et axiomes, nous pourrions construire une infinité de sciences différentes : tout naturellement, parmi ces sciences, nous choisirons celle qui est le plus conforme à nos habitudes d’esprit et à nos besoins.

Il s’en faut, bien entendu, que tous les mathématiciens qui pratiquent la méthode synthétique en tirent des conclusions aussi absolues. La conception que nous venons d’exposer n’existe, chez la plupart d’entre eux, qu’à l’état latent. C’est bien elle qui les inspire cependant, et c’est en elle qu’ils trouvent leur justification, lorsqu’ils construisent de nouveaux systèmes qui ont un caractère de plus en plus artificiel et fictif.