Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/163

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composé au plus composé ; sa tâche consistait essentiellement — suivant une expression qui a été longtemps en faveur dans la langue scientifique — à généraliser, c’est-à-dire à appliquer dans un champ de plus en plus large des procédés déjà éprouvés. Or, après cent cinquante années d’une fécondité extraordinaire, la puissance des méthodes suivies commença visiblement à s’épuisera[1]. Le rendement de la machine algébrique diminua d’une manière inquiétante. Les résultats nouveaux qu’elle permettait d’obtenir étaient, en effet, d’un médiocre intérêt et ne paraissaient pas susceptibles d’applications utiles. Par contre, certains problèmes que la mécanique, la physique, et aussi des considérations purement théoriques, posaient au mathématicien, ne pouvaient être traités algébriquement qu’au prix de grandes difficultés ou même n’offraient aucune prise au calculateur. Il semblait en vérité que l’on fût arrivé au terme du développement de l’algèbre, au faîte de l’édifice dont Descartes et Leibniz avaient posé les bases. De là un sentiment de malaise et d’inquiétude qui s’empara des mathématiciens à la fin du xviiie siècle et dont nous trouvons l’expression dans un rapport rédigé par Delambre en 1810. Exposant[2] au nom de l’Académie des Sciences l’état de la science mathématique, Delambre écrit : « Il serait difficile et peut-être téméraire d’analyser les chances que l’avenir offre à l’avancement des

  1. Ce n’est qu’au cours du xixe siècle, comme nous l’avons vu, que furent développées ou définitivement mises au point certaines des applications les plus importantes de la méthode algébrico-logique. Néanmoins l’insuffisance de cette méthode pour atteindre certaines fins ou progresser dans certaines directions était apparue dès la fin du siècle précédent aux analystes clairvoyants.
  2. Rapport historique sur les progrès des Sciences Mathématiques depuis 1789 et sur leur état actuel, Paris, 1810.