Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ici, peut-être, on voudra nous répondre qu’en ce qui concerne les Mathématiques la question est sans importance ; étant donné, dira-t-on, que les postulats mathématiques sont arbitraires, aucune règle ne régit le choix que nous en faisons, et le travail scientifique ne commence pour le savant que lorsqu’il en vient à l’élaboration de ces postulats.

A priori, cette thèse ne soulève aucune objection et elle est conforme à la conception de l’Algèbre et de l’Analyse qui prévalut pendant le xviiie siècle. Mais, du jour où l’on s’aperçut que l’application pure et simple de la méthode synthétique ne permettait plus de réaliser de nouveaux progrès, on devait reconnaître que, par delà la logique, la question du choix des notions des postulats et des théories joue en réalité un rôle fondamental, peut-être le rôle principal, dans la découverte mathématique. Ainsi nous avons dit plus haut comment David Hilbert effectua une reconstruction logique de la géométrie en la faisant reposer sur cinq groupes d’axiomes. Dans l’œuvre ainsi réalisée par le géomètre de Göttingen, où résidait la principale difficulté, où l’effort d’invention a-t-il dû particulièrement s’exercer ? Le travail de synthèse, logique et mécanique, auquel Hilbert a dû se livrer une fois les axiomes énoncés et interprétés était relativement aisé. Mais discerner sans en oublier aucune, formuler sans pétition de principe, et dans les termes les plus simples, les propositions cachées de notre géométrie, — classer, d’autre part, et ordonner ces propositions de manière à mettre en lumière leurs connexions et à découvrir du même coup les différentes géométries partielles que l’on peut former avec elles, — là était le problème délicat, la difficulté fondamentale dont Hilbert a triomphé. Et c’est en accomplissant ce travail de discernement et de choix, avec un flair et