Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/182

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Nous ne savons pas si pour les grandes valeurs de x la condition sera encore satisfaite. Nous savons même pertinemment qu’elle ne le sera pas en général : la réduction d’une série de la forme (T) à un polynome n’est le plus souvent légitime que pour un ensemble limité de valeurs de x, ensemble que l’on appelle « domaine de convergence de la série ».

Allons-nous en conclure que la fonction mathématique n’est définie, logiquement, que dans le même domaine limité ? Contre une pareille conclusion, l’instinct du mathématicien proteste. Quand je dis : y est fonction de x, mon esprit ne voit pas du tout la combinaison compliquée d’opérations et de symboles qui s’écrit : y = a0 + a1x + … ; il se représente une loi de correspondance entre x et y, qui, en général, n’a point de raison de s’évanouir lorsque x devient plus grand que 1 ou que 2. Si ma formule se dérobe à ce moment, c’est qu’elle est imparfaite : il faut la remplacer par une autre.

Et c’est ainsi, en effet, que procède l’analyste. En combinant les nombres a0, a1, … [coefficients de la série (T)], il réussit à calculer une nouvelle série (T1), qui coïncide avec la première là où toutes deux sont définies, mais qui est convergente pour de nouvelles valeurs de la variable. Et ainsi, de proche en proche, il obtient, pour une valeur quelconque de x, la valeur de la fonction y primitivement représentée par (T). Le mot « fonction » n’est plus alors synonyme du mot « série » mais signifie : ensemble de séries se déduisant mécaniquement les unes des autres.

Ainsi, il est théoriquement possible de construire une fonction analytique dans tout son domaine d’existence. Malheureusement, la construction ne pourra être effectivement réalisée qu’au prix de calculs d’une complexité