Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/220

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matiques sont des faits objectifs, indépendants de nous, et que nous découvrons et analysons en quelque sorte du dehors. Or c’est là une idée essentiellement grecque. Nous inclinons d’autre part à ne voir dans la démonstration que l’instrument et non la fin de la science. Ainsi faisaient les géomètres hellènes.

Pourtant il y a, entre nos conceptions et celles des penseurs grecs, une différence fondamentale que nous avons déjà mise en lumière dans le premier paragraphe du présent chapitre.

Pour les Grecs, la science mathématique est avant tout une et harmonieuse. La dualité que nous y voyons aujourd’hui, l’opposition de la matière et de la forme sur laquelle repose notre idée de l’objectivité, ne pouvaient être admises par les anciens. Et le système d’Euclide, nous l’avons vu, tend précisément à faire ressortir l’accord qui règne entre les vérités poursuivies par le mathématicien et les moyens employés pour atteindre ces vérités. Ainsi, selon les Grecs, les notions mathématiques que nous étudions sont les images fidèles des idées qu’elles représentent. Ce qui est le plus parfait pour nous est en même temps le plus parfait en soi. De là la spontanéité, la facilité, la passivité, de la contemplation telle que la conçoit la science antique : « intelligibilité et étonnante facilité de progrès, voilà — dit G. Milhaud[1] — les caractères miraculeusement associés par la Mathématique grâce à l’idée que seule et toute pure veut manier le géomètre ». De là aussi cette croyance que pour orienter ses travaux dans la bonne voie, le mathématicien n’a qu’à rechercher ce qui est simple et ce qui est « beau ».

Chez les modernes, au contraire, — qui ne croient

  1. G. Milhaud, Les Philosophes Géomètres de la Grèce, p. 7.