Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/221

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plus à une harmonie préétablie entre la matière et la forme des théories — le travail de la pensée mathématique prend un caractère tout différent. Le but est de saisir, de forcer un objet qui nous résiste. Ainsi, l’on ne cherchera pas à faire une œuvre « belle », mais seulement à parvenir au résultat voulu, en employant pour cela les moyens et les artifices les plus variés. La recherche scientifique ne sera par conséquent plus une contemplation passive, mais bien une industrie active, utilisant tous les procédés que les progrès des méthodes algébriques et logiques viennent mettre à notre disposition.


III. — La doctrine intuitioniste.

Nous venons de voir comment l’examen des théories mathématiques contemporaines nous conduit à attribuer à ces théories un certain caractère d’objectivité. Cette manière de voir résulte-t-elle seulement d’un raisonnement indirect que fait le mathématicien lorsqu’il réfléchit sur son œuvre ? N’est-ce qu’une hypothèse imaginée après coup afin de rendre compte des difficultés rencontrées par l’Analyse moderne ? Ou pouvons-nous, au contraire, dans une certaine mesure tout au moins, constater d’emblée, vérifier directement, l’opposition qui paraît se manifester entre le fond et la forme des théories ?

C’est là une question que le technicien, comme nous l’avons dit, peut fort bien se passer de résoudre. Néanmoins il n’est pas sans intérêt de chercher à connaître son sentiment à cet égard. Or il semble qu’un grand nombre de savants croient en effet avoir directement conscience de l’opposition dont nous avons parlé et qu’ils