Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/222

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pensent même pouvoir réaliser jusqu’à un certain point la séparation des deux éléments qui constituent la théorie.

En pourrait-il d’ailleurs être autrement si l’on admet qu’une théorie mathématique est comparable à une construction, ou plutôt à la reconstruction, suivant la forme d’un moule donné, d’un ensemble de faits objectifs ? Car comment pareille reconstruction serait-elle possible si l’on n’avait à l’avance une certaine notion, un certain sens, des objets auxquels elle se rapporte ? Sans doute cette connaissance de l’objet pourra être extrêmement vague et indistincte ; elle ne se précisera qu’au cours de notre travail et à mesure qu’avancera la construction ; si, cependant, elle ne préexistait pas à un certain degré, si faible soit-il, l’opération synthétique à laquelle se livre le mathématicien serait apparemment inexplicable.

Mais il y a plus. C’est un fait d’expérience pour le mathématicien que constamment, au cours de ses recherches, certaines idées, certaines vérités viennent frapper son esprit avant qu’il n’ait procédé aux déductions et aux synthèses qui lui permettront d’en avoir une connaissance raisonnée. Bien souvent une sorte de pressentiment lui permet de deviner des résultats auxquels la chaîne de ses démonstrations ne conduira que longtemps après ; et, quoique dépourvue de précision et de justification logique, cette vision immédiate des idées est souvent plus étendue et plus pénétrante, plus féconde en suggestions, que ne l’est la théorie la plus accomplie.

Telles sont les raisons qui conduisent certains mathématiciens modernes à admettre, comme jadis les Platoniciens, que les notions mathématiques peuvent être atteintes de deux manières : par intuition et par raisonnement. L’intuition précède la démonstration, et c’est elle